La datation des plus anciennes étoiles

Bien que les astronomes puissent calculer la durée de vie totale d'une étoile, il est difficile de savoir combien de temps elle a déjà vécu. Une étoile de la séquence principale est un modèle de stabilité et on ne sait pas lui attribuer un âge précis jusqu'à ce qu'elle commence à évoluer et trahisse ainsi son grand âge. Pour cette raison, les astronomes étudient généralement des populations entières d'étoiles dont ils peuvent supposer qu'elles sont nées à peu près au même moment. Dans un tel groupe, certaines étoiles - les plus massives - sont en train de quitter la séquence principale au moment où nous les observons; même si les autres ne portent encore aucun stigmate du passage du temps. On peut dater les étoiles qui quittent la séquence principale et attribuer leur âge au groupe tout entier.

Les plus anciennes étoiles semblent être localisées au sein de groupements stellaires nommés amas globulaires. Ce sont des concentrations stellaires compactes et denses, renfermant de 100 000 à quelques millions d'étoiles au sein d'une sphère d'une centaine d'années lumière de diamètre. 

Remarque:

Une année lumière: c'est la distance parcourue par la lumière en une année soit 9461 milliards de km (d= v.t = 300 000 km/s fois 365,25 fois 24 fois 3600 s )  

A cette vitesse (300 000 km/s), la lumière pourrait faire 10 fois le tour de la Terre pendant la durée d'une seconde

Alors que 75 pour cent des étoiles de notre Galaxie (y compris le Soleil) se répartissent dans un grand disque aplati (la Voie lactée), les amas globulaires se trouvent dans un halo sphérique qui englobe tout le disque. D'autres grandes galaxies contiennent également des amas globulaires répartis de la même façon.

La localisation des amas globulaires nous renseigne assez bien sur leur âge.

 En effet, dans les années 1930, l'astronome d'origine allemande Walter Baade a montré que les étoiles de notre Galaxie se classent en deux catégories. La «population I» contient des étoiles brillantes et bleues qui, étant massives, ont une durée de vie courté et doivent être jeùnes. On ne les trouve que dans le disque galactique. L'autre catégorie, la «population II», regroupe les étoiles du halo, qui sont en général moins brillantes et plus rouges. Aujourd'hui, nous connaissons l'origine de ces deux populations distinctes : le disque contient de noinbreux nuages de gaz à partir desquels de nouvelles étoiles peuvent se former, ce qui explique qu'il renferme quantité de jeunes étoiles flamboyantes. À l'opposé, le halo de notre Galaxie manque de gaz, et peu d'étoiles nouvelles s'y forment.

En fait, les amas sont peut-être un reliquat des briques fondamentales qui ont contribué à la formation de notre Galaxie. Leurs étoiles contiennent peu d'éléments plus lourds que l'hélium. Ces éléments, que les astronomes nomment métaux (à la grande consternation . des chimistes), constituent environ deux pour cent de la masse du Soleil, mais seulement 0,01 à 0,5 pour cent de la masse d'une étoile d'amas globulaire. Ils ne peuvent être créés que par les réactions thermonucléaires qui ont lieu dans le coeur des étoiles. La rareté de ces éléments dans les étoiles des amas globulaires indique qu'elles se sont formées peu après le Big Bang, à partir de matériaux qui n'avaient pas encore été «pollués» par les produits des générations successives d'étoiles.

Il semble que les étoiles d'un amas globulaire donné aient toutes le même âge. On constate cette homogénéité lorsque l'on place les étoiles d'un amas dans un diagramme de HertzsprungRussell. Dans la séquence principale, les étoiles de masse relativement faible et à longue durée de vie sont légion, mais les étoiles ies plus massives ont toutes disparu : elles ont évolué en géantes rouges, puis sont mortes. Seules subsistent, sous forme de géantes rouges, celles qui sont en train de quitter la séquence principale à la date où nous observons. Ainsi, les étoiles de l'amas se répartissent sur une ligne en forme de coude : la séquence principale se termine de façon abrupte, là où la branche des géantes rougés la rejoint. Cette coupure de la séquence principale confirme que les étoiles de l'amas se sont toutes formées à la même période.

Dès lors, la détermination de l'âge des amas globulaires devrait être un exercice relativement simple. 

Les astronomes établissent un diagramme de Hertzsprung-Russell pour un large échantillon d'étoiles de l'amas. Le diagramme révèle les étoiles qui viennent d'épuiser leur réserve d'hydrogène. On déduit de la luminosité et de la température de surface de ces étoiles une masse et, par conséquent, un âge. 

Dans la pratique, trois facteurs compliquent la tâche.

 La composition chimique exacte des étoiles modifie leur structure et leur évolution.

 Par ailleurs, la méthode dépend beaucoup de la fiabilité des modèles théoriques qui décrivent le fonctionnement des étoiles. 

Pour finir, il est difficile de connaître la luminosité réelle d'une étoile (sa luminosité intrinsèque); car nous n'avons accès qu'à son éclat apparent vu de la Terre.

De l'influence des "métaux" sur l'âge des étoiles

Bien que les métaux ne constituent qu'une toute petite action de la masse d'une étoile, ils agissent sur sa structure. Ces éléments contribuent à la masse de l'étoile, mais ne subissent pas de fusion. Ils réduisent l'efficacité de la chaudière nucléaire, de sorte que le coeur de l'étoile doit être plus chaud pour maintenir l'équilibre. De plus, les métaux absorbent la ïumière et entravent l'évacuation de l'énergie stellaire dans l'espaçe. Sous l'effet de cette absorption, l'étoile enfle ; le même flux d'énergie est réparti sur une surface plus grande, et la température de surface décroît. En conséquence, une étoile pauvrè en métaux est plus brillante qu'une étoile de même masse riche en métaux, et sa température de surface est supérieure. Quand les astronomes surestiment le contenu en métaux d'une étoile, ils surestiment sa masse et, par conséquent, sous-estiment son âge.

Pour établir la composition d'une étoile, les astronomes analysent son spectre. Le spectre visible d'une étoile, obtenu en décomposant la lumière que nous en recevons, est continu mais strié de raies sombres qui correspondent aux longueurs d'onde caractéristiques absorbées par les différents éléments chimiques présents dans les couches externes de l'astre. Depuis une vingtaine d'annéés, grâce à la construction des grands télescopes et à l'introduction de détecteurs électroniques très sensibles, les astronomes obtiennent des spectres dont la résolution réduit notablement les erreurs de mesure (elles sont divisées par trois). À l'aide du télescope Keck de l'Observatoire d'Hawaü, Judith Cohen, de l'Institut californien de technologie, Raffaele Gratton, de l'Observatoire astronomique de Padoue, et leurs collègues ont récemment déterminé l'abondance des métaux dans les amas globulaires NGC 6528 et NGC 6553 avec une précision inégalée.

Ces compositions chimiques étant connues, reste la deuxième difficulté: les modèles théoriques ne sont que des approximations de la situation réelle au sein des étoiles. L'étude approfondie du Soleil a récemment révélé les limites de ces modèles. Jergen Christensen Dalsgaard, de l'Université d'Arhus au Danemark, David Guenther, de l'Université Saint Mary en Nouvelle-Écosse, et leurs collègues ont, par exemple, précisé notre connaissance de l'intérieur du Soleil en étudiant comment les ondes sismiques - analogues à celles qui parcourent la Terre - se propagent à l'intérieur du Soleil. L'étude de la propagation de ces ondes nous renseigne sur les variations de pression et de densité dans le Soleil et indiquent la présence de courants de convection ou de zones turbulentes dans le plasma solaire. Leur modèle fait apparaître que l'hélium doit s'enfoncer lentement vers le coeur de notre étoile et y déloger l'hydrogène, phénomène qui réduit la quantité de carburant disponible et diminue l'espérance de vie du Soleil. Par ailleurs, nous avons précisé d'autres mécanismes, par exemple les échanges de chaleur par convection et les réactions du gaz solaire aux changement de température et de pression. Tous ces perfectionnements observationnels et théoriques ont eu pour effet de réduire de 14 pour cent les âges estimés des amas globulaires. Doit-on s'attendre à de nouvelles surprises? Il est difficile de le dire.  Les modèles stellaires ont été améliorés en les comparant au Soleil - la seule étoile que nous puissions étudier en détail -et ils le décrivent maintenant de façon très satisfaisante.

L'âge des incertitudes

La détermination de la luminosité absolue des étoiles reste la principale difficulté, car l'éclat apparent d'une étoile dépend à la fois de sa luminosité intrinsèque et de la distance qui nous en sépare et que nous savons mal évaluer. La voûte céleste semble sans profondeur et pour accéder à la troisième dimension, les astronomes doivent faire appel à diverses techniques, chacune adaptée à une échelle de distances différente.

Pour les objets assez proches, on recourt à la méthode dite de la parallaxe. La parallaxe désigne la modification apparente de position d'un objet lorsque notre point d'observation change. Vous pouvez constater ce phénomène en regardant votre index, bras tendu devant vous, avec un oeil, puis avec l'autre: votre doigt semble se déplacer devant les objets situés à l'arrière-plan. Si vous rapprochez votre doigt de votre nez, vous remarquez que le changement apparent de position, la parallaxe, augmente. En vertu des règles trigonométriques, la parallaxe d'un objet -l'angle sous lequel on voit son déplacement apparent - est inversement proportionnelle à sa distance.

Pour mesurer la distance des étoiles, les astronomes cherchent à détecter leur parallaxe, c'est-à-dire leur déplacement apparent à mesure que la Terre tourne autour du Soleil en une année : les étoiles proches semblent se déplacer par rapport aux étoiles lointaines. Etant donné que le diamètre de l'orbite terrestre mesure 150 millions de kilomètres environ, une étoile qui se décale sur le ciel d'une seconde d'arc en six mois doit être située à 3,26 années-lumière, ou, par définition, à un parsec. Dans la pratique, les télescopes au sol ne peuvent pas discerner de parallaxe inférieure à un centième de seconde d'arc, ce qui correspond à une étoile située à 100 parsecs. En fait, si l'on exige une précision meilleure que dix pour cent, les télescopes au sol sont incapables de déterminer la distance des étoiles au delà de dix parsecs.

Malheureusement, à l'échelle galactique, une distance de dix parsecs est infime. De plus, les erreurs augmentent avec la distance. Les télescopes fonctionnant à leur limite de résolution surestiment les petites parallaxes et, par conséquent, sous-évaluent les distances. Afin de donner une base plus solide au calcul des distanees cosmiques, l'Agençe spatiale européenne a lancé, en 1989, le satellite Hipparcos. Sa mission consistait à établir une carte tridimensionnelle précise des étoiles situées à quelques centaines de parsecs. Doté d'une résolution d'un millième de seconde d'arc, il avait accès à des étoiles dix fois plus lointaines que les observateurs au sol. Bien sûr, cela reste la banlieue du Soleil et c'est insuffisant pour mesurér précisément la distance qui nous sépare des étoiles dans le plus proche amas globulaire (situé à 2 000 parsecs environ). Toutefois, Hipparcos nous a permis de déterminer précisément la distance d'étoiles voisines, pauvres en métaux, assez semblabjes à cejlés présentes dans jes amas globulaires. De ce fait, indirectement, les astronomes ont déterminé avec une assez bonne précision, la distance des amas globulaires en supposant que leurs étoiles ont la même luminosité intrinsèque que les étoiles proches de même composition chimique et de même couleur (c'est-à-dire de même température de surface).

Plus jeunes qu'on ne le pensait

On en déduisit que les amas globulaires sont plus éloignés qu'on ne le pensait d'au moins dix pour cent. Par conséquent, ils sont plus lumineux que prévu, et donc plus jeunes. Toutefois, ces nouvelles estimations ne font pas l'unanimité ; les modèjes stellaires ne sont peut-être pas totalement fiables et notre estimation indirecte de la distance des amas globulaires est peut-être erronée.

Les astronomes ont cherché à confirmer ces estimations à l'aide de mesures indépendantes. Une des méthodes employées consiste à examiner le mouvement d'un grand nombre d'étoiles dans un amas globulaire. Le mouvement de chaque étoile a deux composantes : la vitesse radiale (le long de la ligne de visée) et la vitesse angulaire (sur la voûte céleste). Les astronomes mesurent chaque composante par des moyens différents. La vitesse radiale est obtenue par effet Doppler (lorsqu'une étoile s'éloigne de nous, la lumière qu'elle nous envoie est décalée vers les grandes longueurs d'onde d'une quantité proportionnelle à sa vitesse). La vitesse angulaire est estimée d'après une série de photographies prises sur plusieurs années. Pour une étoile, ces deux vitesses sont indépendantes. Pour un amas globulaire, où des milliers d'étoiles se déplacent au hasard, la vitesse radiale moyenne devrait être égale à la vitesse angulaire moyenne. Or, la mesure des vitesses radiales par effet Doppler est indépendante de la distance des étoiles, alors que le déplacement angulaire est d'autant plus faible que la distance est grande. De cette façon, les astronomes ont estimé l'éloignement des amas globulaires.

On déduit de cette méthode qu'Hipparcos a surestimé les distances qui nous séparent des amas globulaires, même s'ils semblent effectivement être plus lointains qu'on ne le pensait auparavant. Aujourd'hui, on estime que les amas les plus vieux ont environ 13 milliards d'années (à 1,5 milliard d'années près). Cette datation révisée est en accord avec la nouvelle estimation de l'âge de l'Uruvers fondée sur les dernières mesures de sa vitesse d'expansion (environ 15 milliards d'années). Pour la première fois depuis la naissance de la cosmologie moderne, il y a un demi-siècle, les cosmologistes et les spécialistes de la physique stellaire sont parvenus à se mettre d'accord.

La datation des étoiles dans les amas globulaire n'est pas le seul moyen d'estimer l'âge de notre Galaxie, et d'autres méthodes donnent des résultats très similaires. Il y a quelques mois, Roger Cayrel et ses collègues de l'Observatoire de Paris ont appliqué aux étoiles une technique utilisée de longue date par les archéologues et par les géo)ogues : la datation par des isotopes radioactifs. Ils ont d'abord effectué les premières mesures précises de la quantité d'uranium contenue dans une autre étoile que le Soleil : CS 31082-001, une vieille étoile de population II. Cormaissant la vitesse à laquelle l'uranium disparaît et à l'aide d'hypothèses sur la quantité d'uranium qui était présente dans l'étoile lors de sa formation, R. Cayrel est ses collègues ont estimé qu'il s'était depuis écoulé 12,5 milliards d'années, à trois milliards d'années près. 

À terme, les isotopes radioactifs pourraient supplanter les amas globulaires comme outils de datation des étoiles. Auparavant, les astronomes s'attacheront à confirmer les estimations fondées sur l'étude des amas globulaires. De nouveaux télescopes au sol, tel le très grand télescope VLT de l'Observatoire européen austral, promettent de réduire encore l'incertitude sur la composition chimique des étoiles contenues dans les amas. De nouveaux observatoires spatiaux, comme le satellite Gaia de l'Agence spatiale européenne ou le satellite de la mission spatiale d'interférométrie SIM de la NASA, devraient, avec une résolution 250 fois supérieure à celle d'Hipparcos, déterminer directement la distancé des amas les plus proches, supprimant les intermédiaires. Ils apporteront enfin une réponse définitive à une question qui tracasse les astronomes depuis plusieurs décenrues.

POUR LA SCIENCE - N° 286 AOllT 2001

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