" Tous parents, tous différents "
André Langaney résume aujourd'hui, grâce à la génétique ce qui distingue les individus de la planète.
L'Histoire : Est-ce que les races existent ? Il y a entre les indlvidus des différences physiques que chacun peut percevoir. Est-ce que le mot "race" rend compte de cette disparité apparente ?
André Langaney : Je pourrais vous répondre, de façon très hypocrite : oui, les races existent, mais elles ne sont pas ce que l'on croit. En fait, il faut se montrer plus précis, et bien établir que le mot race a deux sens extrêmement différents : le sens du langage courant et le sens scientifique.
Dans le langage courant, on considère que les gens sont de races différentes à partir du moment où ils paraissent différents et, dans nos perceptions quotidiennes, on mélange ce qui est diversité physique, couleur de peau, diversité des façons de s'habiller, des façons de se comporter, voire diversité linguistique. Ce qui fait qu'on pourra parler de race woloff, alors qu'il s'agit, au sens strict, d'une ethnie ; de race juive, alors qu'il s'agit d'une religion ; de race française ou allemande, alors qu'il s'agit d'une nationalité, etc.Tout cela n'a rien à voir avec les données scientifiques, biologiques que nous connaissons.
L'Histoire : quel est le discours que peuvent tenir, précisément les sclentifiques, les biologistes en l'occurrence, sur les races ?
A. L. : Il se limite à constater qu'il y a des différences biologiques, et parmi elles certaines qui sont visibles (ce sont les différences d'aspect physique, de taille, de proportions du corps, de traits du visage, de pigmentation, de couleur ou de forme des cheveux), et d'autres qui ne le sont pas. Ainsi, pour parler de celles que connait le public, les différences de groupe sanguin, ou celles qui vont conditionner la possibilité ou le rejet des greffes d'organes.
Ce qui a changé depuis le 19 ième siècle, c'est l'appréhension de cette diversité cachée. Mais il faut souligner qu'au 19 ième siècle déjà, quand les biologistes voulaient faire des classifications raciales (c'est une démarche naturelle à l'esprit humain que de classer, quand on se trouve devant
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d'Amérique ou d'un Sénégalais qui serait au contraire du rnême groupe, il fallait choisir le second, qui vous sauverait, alors que le premier vous tuerait : les groupes sanguins sont les mêmes dans toutes les populations, mais varient beaucoup entre les individus. Même chose, comme je vous l'aï dit tout à l'heure, pour les greffes d'organes.
Finalement, la leçon de la génétique c'est que les individus sont toüs différents à l'intérieur des popu
lations, et que les caractères qui font ces différences se retrouvent dans toutes les populations. Au début des recherches en génétique, les scientifiques, qui avaient en tête des classifications raciales héritées du siècle dernier, pensaient qu'ils allaient retrouver des gènes des Jaunes, des Noirs, des Blancs... Eh bien, pas du tout, on ne les a pas trouvés. Dans tous les systèmes génétiques humains connus, les répertoires de gènes sont les mêm~s.
L'W. : Ê9alement répartis ?
~a. L. : Non, pas également répartis. Ceux qui sont fréquents ici seront rares là. C'est, précisément, la fréquence des gènes qui valie ; tt t~ y a gas ~s~ g~rt~~ ~ Noirs, des Jaunes ou des Blancs, mais les mêmes gènes sont, pour certains, plus fréquents en Afrique, pour d'autres plus rares en Amazonie, ou bien dans les Andes, ou bien en Australie...
Par conséquent, deux individus de populations complètement différentes peuvent avoir exactement les mêmes gènes pour certains systèmes, et deux individus de la même population des gènes qui n'ont rien de commun.
A ce propos, je voudrais signaler que, pour expliquer cette présence des mêmes gènes sur toute la surface de la planète, il n'y a qu'une seule hypothèse possible : l'ensemble des hommes d'aujourd'hui, soit six milliards d'individus, descendent d'une seule et unique petite population de la Préhistoire - trente à cinquante mille personnes environ, qui vivaient il y a une centaine de milliers d'années au moins ; et il est probable que ces quelques dizaines de milliers d'individus sont demeurés aussi peu nombreux jusqu'au néolithique, jusqu'à l'invention de l'agriculture, qui a